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TALE OF THE SAFE

Aujourd’hui, je vous raconte l’histoire du coffre-fort.

Toutes celles qui  sont descendues à la cave connaissent le coffre-fort.

Le jour du déménagement, j’ai ressenti un déchirement à l’idée de l’abandonner, blindé à jamais sur son secret…

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Coffre-fort

Jour un, 17h 30. Cartons et commodes s’entassent, il pleut. Coup de blues.

J’appelle Solon, pour le coffre. 805 08 34.

 Allo, il est tard, alors voila, j’appelle trop tard forcément, je voulais le faire depuis des jours, j’aurais dû vous appeler il y a douze ans. Je quitte ma boutique, je rends les clés vendredi, j’ai un regret immense. Il y a un coffre à la cave. Pensez-vous, non je suis sûre que vous ne pouvez pas, pensez-vous qu’il est temps de le sortir ?

 

Je suis Alain Solon.

Mon père m’a parlé de ce coffre-là, avec une salamandre.

Il est tard oui, il est bien tard. Mais… je vous dérange. Non, parlons, j’adore parler, raconter.

 

Plein de gens voudraient acheter le numéro de téléphone, le 01 48 05 08 34. Il coûte une fortune… Mais voyez-vous c’est compliqué. Ma secrétaire est partie à la retraite. Un de mes collaborateurs vient de décéder, les autres sont partis ailleurs. Je me retrouve pratiquement seul. En fait…, je suis seul.

Je suis la troisième génération des Solon. Mes grands-parents ont fondé l’entreprise en 1920. C’est drôle, vous m’appelez, vous n’allez pas le croire, alors qu’on a changé pour la cinquième fois de dépôt il y a juste un mois !

J’ai jeté cent cinquante coffres du style le vôtre. Trop lourds, trop anciens. Il faut une tronçonneuse. Seul un coffre avec un décor chinois, celui-là je le garde, mes parents m’ont fait jurer de ne jamais le jeter.

Mais qu’allez-vous faire Monsieur Solon ?

J’entends la pluie, j’entends Monsieur Solon respirer.

 

Peut-être avez-vous des enfants qui à leur tour vont reprendre l’entreprise ?

Je vais vous raconter. J’ai vécu aux Etats-unis, j’ai étudié jusqu’à l’âge de trente ans, j’ai deux master, je suis ingénieur électronicien informaticien. Mon premier job, c’était chez Dassault. J’ai un MBA New-york, spécial finances. Si j’avais obtenu ma carte verte, je serais resté. Mon salaire là-bas, c’était le jour et la nuit. Avec tous ces diplômes je gagnais deux fois plus à New-York qu’à Paris.

Mes parents sont venus me chercher, ils m’ont dit : alors c’est ça la vie ? Tu vas nous envoyer des cassettes de tes enfants ?

J’ai trois filles. La plus jeune est partie à l’étranger, loin, en me disant « je ne reviendrai jamais ». Je lui ai juré de ne jamais la chercher. Elle vit à Tel Aviv.

Les trois ont étudié à Londres. Dès l’âge de deux ans et demi, elles étaient dans des écoles franco-britanniques. Ma fille aînée a étudié le japonais, la deuxième le chinois. La deuxième entre en contact avec Publicis qui recherche alors quelqu’un parlant couramment l’italien. Elle dit désolée, mais je parle couramment le japonais. Eh bien, vous entrez chez nous de suite, assistez à toutes les visios pendant x semaines… et vous partez au Japon pour faire la présentation de nos coffres.

  

J’ai démarché des assureurs, donné des cours sur les coffres. Beaucoup de gens appellent ces assureurs pour qu’ils leur recommandent un coffre-fort.

J’ai équipé Bernard Arnaud. Avant le Brexit, ils sont partis à Londres. Ils m’ont payé un billet train première classe, m’ont logé, ils voulaient que ce soit moi, et personne d’autre, qui les équipe. Je me souviens de problèmes avec l’ascenseur. Si l’ascenseur est abîmé lors du chargement, il faut une décharge. On m’a répondu, ne vous inquiétez pas, le propriétaire possède tout l’immeuble. Après le Brexit, ils sont rentrés et m’ont de nouveau appelé.

J’ai équipé Monsieur Bouygues. On se faisait la bise avec sa femme. C’est eux qui m’ont ouvert les portes du Georges V.

 

Je vais me remettre à l’acupuncture. J’ai étudié l’acupuncture auprès de Nadia Wolf. Ses élèves n’étaient pratiquement que des médecins. Au début je faisais les soins pour ma famille. Je soignais des patients, anciens élèves de mon école. Je me souviens… Ma belle-sœur venait de se faire une entorse, j’étais en train d’apprendre, je lui ai dit pourquoi je ne te piquerai pas. Dès le lendemain elle dansait !

 

Je possède une petite commode avec des pieds très fins, on ne voit pas que c’est un coffre-fort. Elle pèse trois cent kilos, a une porte de vingt centimètres d’épaisseur. C’était le coffre de ma mère.

La plupart des films, ce sont des coffres sans remplissage. C’est un coffre Solon dans le film « I comme Icare », avec Yves Montand je crois.

Mon coffre-fort a très probablement été descendu avec un treuil. Très souvent, on construisait l’escalier après l’installation du coffre, d’où l’impossibilité de le sortir.

 

C’est quoi, votre après, Monsieur Solon ?

L’après des coffres-forts, c’est l’acupuncture.

Je dis : n’y-a-il pas un lien ? Quelque chose qui ressemble à ouvrir, forcer un barrage pour soigner. Il dit non, un coffre recèle quelque chose de précieux. L’acupuncture ôte la douleur.

Monsieur Solon, vous devriez écrire votre livre.

Oui je sais, tout le monde me dit ça. C’est vrai, j’adore parler. Regardez, j’ai du temps, je suis privé d’internet depuis deux jours, les appels sont transférés sur mon portable. Je ne peux imaginer que vous ayez trois enfants de ces âges-là, vous avez une voix si… si jeune… Nous parlons depuis une demi-heure.

Quand j’étais à la maternelle, je racontais des histoires à mes petits copains. Parfois je n’avais rien à raconter, ils disaient t’as qu’à les inventer !

 

Mon coffre alors …

 Vous avez bien vu les tablettes ? Quelles tablettes, monsieur Solon ? Ben, les tablettes à l’intérieur ! Mais je ne l’ai jamais ouvert ! Depuis douze ans nous le regardons, perplexes, nous imaginant qu’il contient un trésor. Au début, nous le trouvions encombrant, puis nous l’avons apprivoisé. Et aujourd’hui que je pars, j’ai soudain un regret, quels secrets recèle-t-il ? Je n’aurais pas pu le sortir sans l’ouvrir. Il faut une tronçonneuse, démolir l’escalier, un treuil…

J’ai eu un coffre-fort datant de l’expo 1900. Personne n’est intéressé par les coffres du point de vue de l’art.

Alors monsieur Solon, disons-nous au-revoir.